Adapter ses supports pédagogiques avec les schémas mentaux

Publié par PedagogieAutisme

Vous trouverez sur cette page le contenu du livre "Apprentissages scolaires et autisme: adapter ses supports pédagogiques avec les schémas mentaux - De la théorie à la pratique" que j'ai publié en juin 2024. Vous pouvez le consulter sur cette page dans son intégralité.

Adapter ses supports pédagogiques avec les schémas mentaux

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Apprentissages scolaires et autisme:
adapter ses supports pédagogiques
avec les schémas mentaux


De la théorie à la pratique

 

© 2024 - Agnès Deschamps
ISBN 978-2-3225-2077-0

 

Sommaire

1 – Introduction
2 – Le système cognitif, modélisation simplifiée
   
 2.1 – Ce qui peut s'observer depuis un point de vue externe
     2.2 – La mémoire à long terme
     2.3 – Le système attentionnel
     2.4 – Compenser des altérations du système attentionnel
     2.5 – La mémoire de travail

3 – L'action mentale vue par le prisme des schémas mentaux
     
3.1 – Cas concrets
     3.2 – Définition
     3.3 – La mécanique des schémas mentaux
     3.4 – Schémas mentaux et pédagogie
     3.5 – Autisme et schémas mentaux

4 – Pistes pédagogiques
     
4.1 – Concevoir des outils d'accompagnement pour la classe ordinaire
     4.2 – Concevoir des activités spécifiques
     4.3 – Alléger la charge mentale
     4.4 – Points de vigilance

     4.5 – Évaluer les compétences
     4.6 – Étapes clés du processus de création des adaptations
5 – Conclusion

 

Avertissement

Cet ouvrage s'adresse à toute personne investie d'une mission d'accompagnement pédagogique auprès de personnes avec autisme.
J'utilise donc le mot «accompagnant» de façon non spécifique pour nommer l'adulte qui interagit avec l'enfant, indépendamment de sa fonction professionnelle ou de son rôle auprès de l'enfant.

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1 – Introduction

Aider les enfants avec autisme à progresser dans les apprentissages peut constituer un défi pour les professionnels qui les accompagnent à l'école et les familles qui les soutiennent à la maison, notamment quand les méthodes pédagogiques ordinaires ne sont pas adaptées au fonctionnement cognitif atypique de ces enfants.

Les méthodes instituées par l'éducation nationale sont l'aboutissement de siècles de tâtonnements et de décennies d'études scientifiques auprès d'élèves neurotypiques. Leur efficacité est solidement établie, pour les élèves neurotypiques. La scolarisation des enfants avec autisme étant récente, nous ne disposons pas encore de techniques pédagogiques répondant spécifiquement à leurs besoins. Enseignants, AESH, parents, intervenants pédagogiques, nous bricolons, nous adaptons l'offre pédagogique ordinaire pour la rendre accessible. Alléger la charge de travail, épurer les supports, multiplier les répétitions, faire manipuler, illustrer, simplifier la tâche,… on modifie l'existant pour le rendre accessible, mais la base de travail reste la même.

Quand les apprentissages ne se font pas malgré l'inclusion de l'enfant dans le milieu scolaire ordinaire et l'adaptation telle qu'elle se fait habituellement, il faut bâtir sur d'autres bases, sortir des schémas classiques.

Pour illustrer mon propos, cette petite anecdote. Je travaille à cette époque avec un adolescent de 13 ans autiste non verbal, qui, bien que scolarisé depuis son plus jeune âge, ne sait pas résoudre une addition, quelle qu'elle soit. L'enseignant spécialisé qui a la responsabilité de la classe ULIS me conseille de travailler cette notion avec des cubes encastrables, de la manipulation pour aider à faire comprendre la notion d'addition, comme cela se pratique habituellement en classe ordinaire et en éducation spécialisée. J'apporte alors à l'élève la boite de cubes, que je pose sur sa table de travail. L'élève écarte la boîte d'un geste vif dont l’interprétation ne laisse aucun doute, pas question de travailler avec ça. Je réalise alors que ce matériel a dû lui être proposé encore et encore, depuis au moins six ans, sans succès, année après année.

Il était évident que reprendre ces mêmes outils, utilisés par tous les enseignants, était une erreur. Ce qui n'avait pas fonctionné les années précédentes ne fonctionnerait pas plus avec moi cette année. Faisant ce constat, je me suis replongée dans «La bosse des maths» de Stanislas Dehaene, je m'en suis inspirée pour créer des activités pour cet élève, j'ai tâtonné, et un an plus tard il calculait mentalement des additions ou soustractions de nombres inférieurs à 20 avec aisance, preuve qu'il était capable d'apprendre, mais nous n'avions pas su comment lui enseigner.

Il est nécessaire de redéfinir les démarches pédagogiques à destination des élèves avec des troubles du neurodéveloppement, de les réinventer pour qu'elles collent aux particularités de leur fonctionnement cognitif. Le sujet est d'importance, au delà de l'enjeu de l'acquisition même des compétences scolaires. Car à force de vivre des situations dans lesquelles ils sont mis en échec, un certain nombre d'enfants vont développer des comportements qu'on ne souhaite pas voir apparaître. Certains par exemple vont se replier sur eux-mêmes, devenir passifs, d'autres vont développer des comportements problèmes tels que l'agitation ou l'agressivité. L'inclusion scolaire n'a de sens que si elle est un facteur de développement de l'autonomie des enfants. Sans une bonne adaptation de l'offre pédagogique aux besoins des élèves, cet objectif ne peut pas être atteint.

Un obstacle majeur est qu'on sait très peu de choses sur la façon dont l'autisme affecte le fonctionnement cognitif. Il existe des théories(*), mais aucune n'explique toutes les particularités autistiques. C'est encore très flou.

(*) Les quatre modèles théoriques de compréhension de l'autisme sont la théorie de la cohérence centrale, la théorie de la prédiction, la théorie d'empathie-systémisation et la théorie de la motivation sociale.

L'observation des enfants avec autisme et les connaissances théoriques que nous apportent les neurosciences sur le fonctionnement du système cognitif humain me semblent être aujourd'hui la meilleure base sur laquelle bâtir de nouvelles stratégies d'enseignement.

C'est avec cet état d'esprit que j'ai travaillé quand j'exerçais la fonction d'AESH auprès d'élèves avec autisme. Le contenu de ce livre présente le fruit de ce travail.

Je ne suis pas spécialiste des neurosciences, je n'en ai que des notions de base par l'intérêt que je porte à cette discipline. La démarche pédagogique que je partage avec vous est une construction élaborée à partir de mes connaissances théoriques diverses, mélangées avec mon expérience de terrain auprès d'enfants et de jeunes sur le spectre de l'autisme. J'utilise du vocabulaire issu des sciences cognitives parce qu'il convient pour ce que je veux évoquer, mais je ne saurais isoler dans mon propos ce qui est prouvé de ce qui ne l'est pas. Ce que j'affirme doit donc être globalement considéré comme étant des hypothèses. Si l'avenir voit ces hypothèses validées j'en serai ravie.

En attendant et faute de mieux, si la modélisation théorique que je propose est un guide efficace pour créer des adaptations pédagogiques pertinentes, il me semble que c'est ce qui importe.

Au cœur de cette modélisation se trouve le concept de schéma mental. C'est un concept simple une fois compris, c’est-à-dire une fois qu'il a pris sa place dans la représentation qu'on se fait des mécanismes de la pensée et qu'il s'incarne concrètement, mais qui est difficile à expliquer du fait de sa dimension théorique.
Pour cette raison, je vous propose dans la première partie de ce livre 
de découvrir une modélisation simplifiée du système cognitif dans laquelle les schémas mentaux vont pouvoir naturellement prendre leur place.

Ensuite, dans la deuxième partie, nous ferons un zoom sur comment les schémas mentaux sont impliqués dans le traitement de l'information et en quoi l'autisme impacte leur mécanique.

Pour finir, nous verrons comment adapter les pratiques pédagogiques en conséquence.

De nombreux exemples illustrent les points de théorie.

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2 – Le système cognitif, modélisation simplifiée

Le système cognitif est l'ensemble des processus mentaux qui permettent à un individu de percevoir, comprendre, traiter et retenir des informations provenant de l'environnement.

Selon le modèle élaboré en sciences cognitives, ce système comprend différentes fonctions telles que l'attention, la mémoire, le langage, la perception, la résolution de problèmes, la prise de décision, la créativité, l'apprentissage et la pensée abstraite.

La modélisation que je vais construire avec vous pas à pas dans ce chapitre est plus ou moins cohérente avec cette classification mais ne la respecte pas avec fidélité, notamment parce qu'elle est simplifiée.

 

2.1 – Ce qui peut s'observer depuis un point de vue externe

Je vous propose de commencer par évoquer, parmi tous les éléments qui entrent en jeu dans les processus cognitifs, les éléments objectivables, c’est-à-dire qui sont mesurables par un observateur externe.

Des entrées externes

Le cerveau reçoit en permanence des informations sensorielles issues des cinq sens ainsi que des nombreux capteurs sensoriels internes au corps humain (proprioception.)

Ces capteurs, parce qu'ils apportent des informations en provenance d'éléments externes au cerveau, constituent les ENTRÉES EXTERNES du système cognitif.

Les entrées sensorielles sont des éléments objectifs parce que mesurables. Pour ce qui concerne l'environnement, on peut mesurer la longueur d'onde d'une couleur, le niveau sonore d'un son, la vitesse d'un déplacement…
Pour ce qui concerne la proprioception, on peut mesurer des potentiels électriques le long des trajets nerveux.
Tous les stimulis sensoriels ne font pas l'objet d'un traitement cognitif, mais tous engendrent un signal nerveux à destination du cerveau.

Des actions physiques

Parallèlement, en lien avec les entrées sensorielles ou non, le corps humain dans sa réalité physique agit sur lui-même ou sur son environnement.

Lorsque les actions physiques sont liées à un traitement cognitif, alors elles constituent les SORTIES du système cognitif.

La flèche sur ce schéma est hachurée pour mentionner le fait que tout traitement cognitif ne donne pas forcément lieu à une action physique, par exemple quand on se répète une phrase dans la tête pour l'apprendre, et toute action physique n'est pas forcément le résultat d'un traitement cognitif, comme c'est le cas pour les mouvements réflexes.

Toute action physique induit des modifications des entrées externes puisqu'elle modifie certains paramètres de l'environnement ou certains paramètres du corps. Il existe donc une boucle rétroactive dans le système.

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2.2 - La mémoire à long terme

Un traitement cognitif peut se réaliser à partir d'entrées externes, mais aussi à partir d'entrées internes au cerveau. Le contenu de la mémoire à long terme constitue un réservoir d'entrées internes.

Si j'évoque mes dernières vacances lors d'une discussion entre amis, ce ne sont pas les stimulations sensorielles présentes qui entrent en jeu mais les souvenirs que j'ai de celles que j'ai vécues lors de ces vacances.
Ce sont ces souvenirs, stockés en mémoire à long terme, qui vont être traités pour élaborer l'énoncé verbal que mon corps va oraliser à destination de mes amis.

Remarque: On parle plutôt de mémoires au pluriel car nous disposons de différents modes de stockage. Pour simplifier, parce que les distinguer ici n'est pas pertinent, je privilégie l'usage du singulier.

Le schéma devient alors:

Le traitement cognitif et l'action physique laissent des traces dans la mémoire à long terme. Ces rétroactions sont matérialisées par des flèches sur le schéma.

Je l'ai évoqué un peu plus haut, toutes les entrées externes ne donnent pas lieu à un traitement cognitif. Il en est de même pour les entrées internes. Il existe donc un organe de régulation qui sélectionne parmi le contenu de la mémoire à long terme et parmi toutes les stimulations sensorielles celles qui vont donner lieu à un traitement cognitif. C'est le système attentionnel.

 

2.3 - Le système attentionnel

Intimement lié au traitement cognitif, il permet de filtrer une sélection d'entrées externes parmi toutes les entrées sensorielles disponibles et/ou de récupérer une sélection d'entrées internes parmi la base de données de la mémoire à long terme, en fonction de notre intention.

Par exemple, lorsqu'un élève écoute attentivement les consignes données par la maîtresse, son système attentionnel filtre les stimulis auditifs et en ignore certains, par exemple le bruit des cloches qui retentissent à un kilomètre de là, ou le bruit généré par la respiration du copain assis à côté.

Tous ces stimulis sont perçus par les organes de l'audition et donc génèrent une stimulation cérébrale, mais ils ne sont pas amenés à la conscience et ne font pas l'objet d'un traitement cognitif.

Pour la maîtresse qui, elle, donne les consignes, le système attentionnel va récupérer en mémoire à long terme les traces mnésiques laissées lors de la préparation de la séance. Ces souvenirs permettront l'élaboration du discours qu'elle va oraliser à destination des élèves.

Mais en réalité, notre système attentionnel doit gérer la présence simultanée d'intentions multiples.

Si je reprends l'exemple précédent, lorsque la maîtresse donne les consignes à la classe, il lui faut non seulement élaborer son énoncé oral, mais aussi rester vigilante sur ce qu'il se passe autour d'elle. Les deux intentions que sont la transmission des consignes et la gestion de la classe sollicitent son système attentionnel.

De plus, outre les intentions volontaires, notre attention peut également être impactée par ce que j'appellerai des pseudo-intentions, non volontaires, destinées à assurer la satisfaction des besoins fondamentaux (maintenir son intégrité physique, se nourrir, dormir, nourrir son sentiment d'appartenance, contribuer, apprendre.)

Ces pseudo-intentions résultent de deux systèmes:

  • Le système pré-attentif, système réflexe qui oriente automatiquement l'attention vers les éléments saillants de l'environnement (un bruit fort, une lumière clignotante, un mouvement rapide.)
  • Le circuit de la récompense, qui oriente l'attention vers ce qui est plaisant et qui oppose une résistance à ce qui est aversif.

Or, notre cerveau ne peut traiter qu'une seule intention à la fois. Contrairement à ce qu'on peut entendre parfois, nous sommes tous monotâches. L'impression d'être capable de faire plusieurs choses en même temps correspond en réalité au fait que le cerveau est capable de basculer très rapidement d'une intention à une autre, d'alterner avec une grande rapidité, de sorte qu'on a le sentiment de gérer plusieurs choses de front. Mais ça n'est jamais le cas.

Il existe donc un «organe» qui régule l'attention, qui détermine à chaque instant pour quelle intention le système cognitif mobilise ses ressources. Cette régulation peut se faire en partie de façon volontaire (c'est cette composante volontaire qui est travaillée par exemple dans la méditation), mais elle se fait également en partie de façon non volontaire, comme par exemple lorsqu'une bonne odeur de pain chaud me déconcentre du travail rébarbatif que je suis en train de faire.

On peut représenter le fonctionnement de cet organe régulateur de cette manière:

En entrée du système, il y a:

  • Les intentions volontaires, ce que je veux faire. La priorisation de ces intentions est pondérée par l'action du circuit de la récompense qui va augmenter ou diminuer le pouvoir d'attraction de chacune selon que les tâches à réaliser sont perçues comme susceptibles de générer du plaisir, d'être neutres ou de générer du déplaisir.
  • Les pseudo-intentions générées automatiquement par le circuit de la récompense, qui vont entrer en compétition avec les intentions volontaires et induire des distractions.
  • Le système pré-attentif qui, à tout moment, court-circuite les autres intentions et pseudo-intentions pour mobiliser les ressources cognitives vers des éléments saillants de l'environnement ou de la proprioception. Par exemple, un cri à proximité.

En sortie du système, à l'instant t, une intention unique émerge. C'est elle qui détermine l'activité cognitive qui est menée à cet instant. La multiplicité des intentions uniques à mener de front est gérée par la capacité du système à osciller très rapidement d'une intention à une autre.

En intégrant ce système régulateur au schéma général, on obtient:

Le système attentionnel est un organe central dont les dysfonctionnements peuvent avoir un impact fort. Beaucoup d'aménagements scolaires pour les enfants avec handicap cognitif sont destinés à compenser des altérations de ce système.

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2.4 - Compenser des altérations du système attentionnel

Voici une liste non exhaustive d'adaptations et d'aménagements habituellement utilisés pour faciliter les apprentissages des élèves avec autisme. Je les ai classés en fonction des éléments du système attentionnel pour lesquels ils sont susceptibles de compenser des altérations.

  • Compenser une altération de la capacité à filtrer les stimulis sensoriels pertinents parmi tous ceux présents dans l'environnement.

Rien d'inutile sur la table, des supports de travail épurés, recentrer l'attention vers les éléments pertinents en pointant, en utilisant des caches, en forçant l'accentuation des mots importants…
Utiliser un paravent pour isoler visuellement, un casque anti-bruit pour réduire les stimulis auditifs non pertinents.

  • Compenser une altération de la capacité à récupérer les items pertinents dans la mémoire à long terme.

Pas de questions ouvertes sans proposer de réponses parmi lesquelles l'élève peut choisir, utilisation de QCM.

Mise à disposition d'images référentielles pour toute activité demandant de se représenter une situation à partir d'un énoncé verbal (Inférences, problèmes de maths…)

  • Compenser une altération de la capacité à inhiber les pseudo-intentions issues du circuit de la récompense.

Pas d'objets ludiques sur la table de travail ou dans le champ de vision, accès aux écrans rigoureusement réglementé, contrôle du temps accordé pour les stéréotypies, éloignement des enfants trop stimulants, paravents ou place contre le mur…

  • Compenser une difficulté à percevoir l'intention volontaire (savoir ce que je dois faire.)

Ritualiser, structurer l'environnement de travail et assurer que cette structuration soit stable dans le temps. (Une organisation donnée pour une intention donnée.) Rendre les consignes claires et explicites en structurant soigneusement l'information donnée. Utiliser des consignes visuelles. Pratiquer l'enseignement explicite (Je fais, on fait, tu fais.)

  • Compenser une altération de la capacité à osciller entre plusieurs intentions.

Pas de double tâche, si besoin prendre en charge une partie de l'activité pour permettre à l'élève de se focaliser sur la tâche centrale.

D'autres adaptations et aménagements permettent d'exploiter le pouvoir d'attraction induit par le circuit de la récompense, ou à l'inverse, d'éviter le rejet lié au déplaisir :

  • Exploiter le pouvoir d'attraction induit par le circuit de la récompense.

Proposer des supports d'activité exploitant les centres d'intérêt de l'enfant, utiliser un système d'économie de jetons avec récompense à la clé, prendre le temps de faire des activités plaisantes avec l'enfant pour que notre présence à ses côtés lui soit agréable, faire en sorte que l'élève soit en réussite, féliciter les efforts, cultiver la joie. Nous retrouvons ici des éléments agissant sur la motivation.

  • Éviter le rejet induit par le déplaisir dans le circuit de la récompense.

Ne pas gronder, ne pas brusquer, ne pas punir en général, éviter les activités déplaisantes.

L'action du système attentionnel, quand il fonctionne correctement ou quand on a pu compenser ses altérations, permet de sélectionner des informations qui vont pouvoir donner lieu à un traitement cognitif dans la mémoire de travail.

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2.5 - La mémoire de travail

La mémoire de travail permet de maintenir temporairement et de manipuler mentalement des informations en cours de traitement. Elle est souvent décrite comme la mémoire utilisée pour les tâches quotidiennes, telles que la résolution de problèmes, la compréhension du langage et la planification d'actions.
La mémoire de travail reçoit des informations de l'environnement et/ou de la mémoire à long terme et les traite. Elle assure donc une double fonction. D'une part elle maintient temporairement en mémoire à court terme des informations identifiées comme pertinentes au vu des intentions de l'instant, et d'autre part elle traite ces informations par des actions mentales.

 

La mémoire à court terme

Seulement 7 informations maximum peuvent être maintenues en mémoire à court terme, et ce pour un temps très court, de l'ordre de quelques secondes. Les maintenir plus longtemps nécessite de les réactiver sans cesse. Une bonne façon de s'en rendre compte est de jouer au KOBO, un jeu qui se joue avec des cartes ordinaires dont vous trouverez facilement les règles sur internet. Il faut garder en tête en permanence la valeur de quatre cartes dont les faces sont cachées, avec des actions à mener qui perturbent le maintien en mémoire de ces cartes. Je vous invite à y jouer, c'est très parlant.

Chaque fois qu'on peut regrouper des informations ensemble, on allège la charge en mémoire de travail. Les informations qui, une fois regroupées, constituent un objet unitaire, ne comptent plus que pour une seule information. Par exemple, prenons les lettres A T P et R. Elles constituent 4 informations si on les considère comme une suite de lettres indépendantes les unes des autres, mais elles ne constituent plus qu'une seule information si on les considère comme les constituants du sigle RATP.

Certaines adaptations permettent de compenser des altérations de la capacité à stocker et maintenir des informations en mémoire à court terme: parler à l'enfant en utilisant des phrases simples de manière à limiter le flux d'informations à maintenir; utiliser des guidances et des consignes visuelles de manière à faciliter la réactivation des informations qui risqueraient d'être
perdues.

L'action mentale

L'action mentale est le plus souvent un processus obscur, difficile à révéler à la conscience. Lorsque ma collègue me raconte son week-end, comment mon cerveau transforme-t-il le récit verbal en représentation mentale qui pourra être stockée dans ma mémoire? Et quand je raconte mon propre week-end, comment mon cerveau élabore-t-il un discours structuré à partir des souvenirs que j'ai de ce moment de ma vie?

Cette question est centrale, notamment pour les élèves avec autisme chez qui certains des processus en jeu ne se font pas naturellement, c’est-à-dire de façon automatique et inconsciente. C'est sur ce point central que nous allons nous attarder avec le chapitre suivant qui y est entièrement consacré.

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3 - L'action mentale vue par le prisme des schémas mentaux

L'action mentale va être considérée ici selon une approche par les schémas mentaux. Je vais commencer par aborder la question en présentant des exemples illustrant le concept.

Ensuite, je vais définir verbalement ce que sont les schémas mentaux et je vais montrer comment ils interviennent dans toutes nos actions mentales. Puis nous verrons en quoi l'autisme et les schémas mentaux sont liés. Une fois cela posé, je vous montrerai dans le chapitre 4 comment leur mise en évidence permet de définir des stratégies pédagogiques spécifiques.

3.1 – Cas concrets

Voici quatre exemples en lien avec les activités scolaires illustrant ce que sont les schémas mentaux.

  • Premier exemple: identifier le nombre de syllabes phonologiques contenues dans un mot

Imaginons une situation courante en classe maternelle: compter le nombre de syllabes de son prénom.

La maîtresse oralise le prénom d'un élève en découpant bien les syllabes, l'élève et la maîtresse tapent dans leurs mains en rythme. À la fin, l'élève doit dire combien de syllabes comporte son prénom.

Pour pouvoir réaliser cette tâche, l'élève, qui ne peut pas compter sur ses doigts puisqu'il tape dans ses mains, doit disposer d'un outil mental dédié.

Arrêtez votre lecture et prenez le temps de tenter de visualiser les processus mentaux que vous sollicitez personnellement lorsque vous réalisez cette activité de dénombrement de syllabes, avec par exemple le mot «parapluie», puis le mot «exagération», et enfin le mot «anticonstitutionnellement». Vous comprendrez mieux de que je tente d'expliquer dans les lignes qui suivent.

Pour ma part, lors de la réalisation de telles tâches mentales, chaque syllabe fait apparaître ce qu'on pourrait nommer un point, les points étant organisés de gauche à droite, comme sur la ligne numérique. Mais aucun nombre n'apparaît dans cette représentation mentale. C'est par visualisation globale des «points» que je «vois» le nombre de syllabes.

Si le mot comporte 3 syllabes:

 

Si le mot comporte 5 syllabes:

 

 

Et si je veux compter le nombre de syllabes du mot «anticonstitutionnellement», les points ne sont plus organisés de façon purement linéaire. Au fur et à mesure que les syllabes sont égrenées, les lignes de 3 points se placent les unes sous les autres, de cette manière:

 

 

 

 

Les schémas mentaux que je viens d'évoquer en leur donnant une matérialité graphique sont ceux que j'utilise personnellement. Évidemment, d'autres schémas sont possibles.
Puisque les outils mentaux utilisés ne sont pas issus d'un apprentissage explicite, chaque personne élaborant sa propre stratégie de résolution, les outils développés peuvent être différents.

  • Deuxième exemple: colorier selon un algorithme défini

Il s'agit ici de colorier un collier de perles en respectant l'algorithme indiqué.

Pour réaliser cette activité, j'identifie le motif de base et je colorie les cercles de manière à ce que le motif se répète de façon rigoureuse.

On peut représenter le schéma mental que j'utilise de cette manière:

 

Avec ce schéma de base, je peux réaliser tous les algorithmes de ce type. Il me suffit de placer dans le premier maillon de la chaîne le motif de base et le reste s'enchaîne.

  • Troisième exemple: résoudre des problèmes de mathématiques

Soit l'énoncé suivant:
«Léon et Titus ont ramassé des pommes dans le jardin. Ils les ont mises dans un panier.
Léon a mis 5 pommes dans le panier.
Titus a rajouté 2 pommes.
Combien y a-t-il de pommes dans le panier?»

Lorsque je lis ce problème de mathématiques, j'identifie la fonction de chacune des phrases.

Les deux premières phrases indiquent le contexte dans lequel je me trouve de manière à ce que je puisse visualiser mentalement la situation.

Les phrases qui suivent apportent une ou des informations que je dois convertir en données mathématiques. La première phrase correspond au premier terme de l'opération; la deuxième phrase indique l'opérateur et le second terme de l'opération; la dernière phrase questionne sur le résultat du calcul.

On peut matérialiser ainsi le schéma mental que j'utilise:

Chacune des données de l'énoncé trouvant sa place dans le tableau, l'opération à effectuer est facilement identifiable.

  • Quatrième exemple: tracer chiffres et lettres

Dans notre système d'écriture, la plupart des chiffres, des lettres scriptes et des majuscules d'imprimerie peuvent être formées sur la trame suivante, 

dont voici un élément de base:

Les formes élaborées pour la symbolisation de notre alphabet et de nos chiffres sont des combinaisons de formes élémentaires telles que le cercle, le trait vertical, le trait horizontal et le trait oblique. Tracer un chiffre ou une lettre, c'est réaliser un geste graphique structuré sur cette trame, même si nous n'en avons pas conscience.

Par exemple:

Certains symboles peuvent d'ailleurs être tracés sur une trame plus simple, dont l'élément de base est le suivant:

Par exemple:

 

 

 

Ces trames peuvent être proches des schémas sur lesquels nous construisons nos représentations mentales des tracés des chiffres et des lettres scriptes.

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3.2 – Définition

Felipe Espinoza et Marie Faye, dans un rapport universitaire de juin 2006 «Les icônes, schémas et similis», définissent les schémas mentaux ainsi:

«Les schémas sont des représentations mentales abstraites qui résument et organisent de façon structurée des événements, des objets, des situations ou des expériences semblables. Les schémas, stockés dans la mémoire à long terme, permettent d'analyser, de sélectionner, de structurer et d'interpréter des informations nouvelles. Ils servent donc en quelque sorte de modèle, de cadre (pour reprendre l'expression équivalente utilisée en intelligence artificielle) pour traiter l'information et diriger les comportements.

Les schémas peuvent être considérés comme des routines d'action rodées et habituelles qui sont exécutées automatiquement à partir d'indices internes ou environnementaux.»

Ainsi, face à une situation demandant un traitement cognitif pour sa résolution, comme par exemple une activité scolaire à réaliser, des indices contenus dans la situation induisent automatiquement l'activation en mémoire de travail d'un schéma. Ce schéma orchestre alors l'action du système attentionnel pour le prélèvement des informations pertinentes.

Par exemple, si on me présente cette fiche:

Parce que j'ai l'habitude de ce genre d'activité et que je sais ce qu'on attend de moi, le schéma mental associé aux algorithmes simples est activé, et ce de manière automatique:

Je vais alors porter mon attention vers les couleurs des perles et vérifier que je suis bien face à un algorithme simple. Suite à la validation de mon hypothèse, j'identifie et je mémorise le motif à reproduire en vue de la réalisation du coloriage demandé.

On voit bien ici que c'est l'activation du schéma mental associé aux algorithmes qui induit l'orientation de l'attention pour le prélèvement des informations pertinentes pour la réalisation de la tâche: identifier le motif à reproduire.

Les schémas mentaux sont au cœur de l'action mentale. Ils sont indispensables au prélèvement et au traitement des informations. Je vous propose de les représenter sur le schéma simplifié du système cognitif élaboré au chapitre précédent en lieu et place de l'action mentale. Bien sûr, l'action mentale ne se réduit pas à l'organisation d'informations dans des schémas mentaux. Mais pour ce qui nous concerne, parce que c'est ce point précis que nous allons observer, je simplifie les choses ainsi.

Donc, les schémas mentaux et le système attentionnel sont intimement liés, l'un et l'autre se déterminant mutuellement:

 

 

Nous possédons donc une «banque» de schémas mentaux en mémoire à long terme, lesquels vont être activés en fonction des besoins. Mais on ne naît pas avec un stock fixe et déjà constitué. Les schémas mentaux s'élaborent et évoluent au fur et à mesure de notre développement et de nos apprentissages.

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3.3 – La mécanique des schémas mentaux

En situation réelle, la réalisation complète d'une tâche sollicite toujours plusieurs schémas mentaux. Colorier les perles d'un algorithme par exemple nécessite non seulement de disposer du schéma de la reproduction successive d'un motif graphique évoqué dans le chapitre précédent, mais aussi de tous ceux nécessaires à la réalisation des diverses actions mentales à effectuer pour agir concrètement, comme prendre un crayon entre son pouce et son index, le positionner dans sa main, placer correctement sa fiche de travail…
Dans les lignes qui suivent, je vais négliger cette complexité. Nous allons observer la mécanique des schémas mentaux en œuvre dans des tâches cognitives isolées.

Pour réaliser un traitement cognitif donné, il serait inexact d'affirmer que les indices en présence induisent l'activation d'un schéma mental et un seul.

En réalité, selon les cas, plusieurs schémas peuvent être activés et éventuellement mis en concurrence.

C'est assez visible dans le traitement du langage. Un mot sonore qui peut prendre plusieurs sens est associé à au moins autant de schémas qu'il a de sens. Par exemple, les représentations mentales qui naissent de l’évocation d'un mur en pierre ou de l’évocation d'un fruit mûr ne sont pas les mêmes. Elles sont construites sur des schémas mentaux différents associés aux différents sens que peut prendre ce même mot sonore.

La possible mise en concurrence de plusieurs schémas pour résoudre une situation donnée est bien visible dans les calembours. Lorsque je lis la phrase «Se raser est barbant», le premier sens que je perçois est «se raser est ennuyeux». Mais, notamment parce que je sais que je suis en présence d'un jeu de mots, un autre sens du mot «barbant» émerge. C'est d'ailleurs la coexistence de ces deux schémas qui confère à la phrase sa dimension humoristique.

La probabilité qu'un schéma donné soit activé dans une situation donnée dépend de la fréquence avec laquelle il a permis la résolution des situations similaires précédentes. Plus elle est élevée, plus il émergera facilement. Ainsi, pour chaque situation, il existe un schéma par défaut qui est automatiquement activé. Si, dans cette situation précise, le schéma par défaut ne permet pas un traitement des informations satisfaisant, d'autres schémas sont mis au banc d'essai.

J'ai eu l'occasion de vivre une expérience intéressante sur ce point lors d'une randonnée estivale en famille dans les Pyrénées

Arrivés en télécabine sur un col, nous partons pour deux heures de marche, en descente, vers un lac où nous prévoyons de pique-niquer. Nous comptons ensuite reprendre le même chemin en sens inverse pour rentrer. Nous entamons la descente. Ma fille, qui n'aime pas beaucoup marcher, surtout dans les dénivelés positifs, me demande des précisions sur notre parcours. Je lui réponds: «Ça descend pendant deux heures, on pique-nique, et après ça monte pendant deux heures». Son frère aîné enchaîne alors ainsi: «Après ça descend pendant deux heures». Cette réplique faisant contresens dans le contexte présent, je m'interroge. Je réfléchis un bon moment et je comprends finalement que le mot «après» que mon fils vient d'utiliser n'a pas le sens qu'il avait dans mon propos. Il a ici le sens de «cependant». Il fallait comprendre: «Cependant, ça ne descend que pendant deux heures», avec pour sous-entendu: «Puisque ça ne descend pas longtemps, ça ne montera pas longtemps». Mon fils ayant utilisé une tonalité et un rythme banals, il me manquait les indices qui auraient pu m'aider à saisir facilement ce qu'il voulait dire, c’est-à-dire qui m'auraient permis d'activer rapidement le bon schéma mental sur lequel construire le sens de la phrase entendue.

Le schéma par défaut ne permettant pas de traiter correctement les informations, un autre a été activé, testé et validé.

Mais parfois, tous les essais de schémas sont infructueux, rien ne permet de traiter l'information de façon satisfaisante. Ça peut notamment être le cas dans des situations scolaires où des notions nouvelles sont introduites par le biais de situations problèmes pour lesquelles les élèves ne disposent pas encore d'outils de résolution.

Quand cela se produit, quand aucun des schémas disponibles ne convient, de nouveaux schémas doivent être élaborés.

La mécanique des schémas mentaux peut être schématisée ainsi:

Remarque:

  • Le tâtonnement est la manifestation observable de cette mécanique. Tâtonner, c'est faire une hypothèse (activer un schéma mental ou opérer une modification sur un schéma existant), la tester (constater que le traitement des données est satisfaisant ou non avec ce schéma), en tirer des conclusions et éventuellement faire une nouvelle proposition qui sera elle aussi testée, et ainsi de suite.
  • L'entraînement d'une compétence en cours d'acquisition permet de renforcer l'activation d'un schéma donné par rapport à ses concurrents. Chaque fois qu'un exercice est résolu en utilisant le schéma visé par l'apprentissage, celui-ci est renforcé. La compétence est considérée comme acquise quand ce schéma est devenu le schéma par défaut pour ce type de situations.

L'évolution des compétences des élèves peut donc être mise en relation avec l'évolution des schémas qu'ils sollicitent pour résoudre les situations auxquelles ils sont confrontés.

Les dessins de maisons avec cheminée penchée chez les tout petits illustrent bien ce point. En effet, on observe fréquemment chez les jeunes enfants des maisons dessinées ainsi, avec une cheminée penchée.

Les enfants grandissant, ils dessinent la cheminée de façon plus réaliste, verticalement:

Pour dessiner une maison avec une cheminée penchée, un enfant doit disposer d'un schéma «lignes horizontales / lignes verticales» (en rouge) et d'un schéma «lignes obliques» (en vert). Ces deux schémas sont utilisés de façon juxtaposée, le premier pour le dessin des murs de la maison, le second pour le dessin du toit. Dans ces deux schémas, les angles utilisables
sont de 90°.

Pour que le cheminée devienne verticale, l'enfant doit disposer d'un schéma dans lequel les deux précédents schémas sont combinés afin de pouvoir réaliser des angles de 45°.

Ainsi, c'est l'acquisition de ce nouveau schéma par combinaison des deux premiers qui permet finalement à l'enfant de dessiner la cheminée verticalement sur le toit oblique.

Tant que le nouveau schéma n'a pas été élaboré, l'enfant utilise un schéma disponible qui, bien qu'imparfaitement adapté, lui permet quand même de tracer un dessin pouvant être reconnu comme représentant une maison avec cheminée.

Voici un autre exemple avec une situation qui s'observe fréquemment en école élémentaire, quand on augmente la complexité des problèmes de mathématiques en énonçant les données du problème dans un ordre qui ne respecte pas l'ordre de l'opération à effectuer. Certains élèves produisent avec ces nouveaux problèmes une opération aberrante. Ils prennent le premier nombre de l'énoncé, y ajoutent ou y retranchent le deuxième en fonction du vocabulaire en présence, et effectuent le calcul. C'était une stratégie pertinente avec les premiers problèmes de mathématiques, qui rentraient dans le schéma évoqué page 32. Mais avec des énoncés de problèmes qui ne présentent plus les données dans «le bon ordre», il faut arriver à faire «bouger» les données dans les cases, ce qui demande de modifier le premier schéma en le rendant dynamique. Il faudra donc aux élèves un temps d'adaptation, plus ou moins long. Tant que ça n'est pas bien en place dans la banque de schémas des élèves, il se peut que certains reprennent le schéma qui fonctionnait pour les problèmes antérieurs et y fassent «rentrer» le nouveau problème. Cela ne signifie pas qu'ils ne se rendent pas compte de l'inexactitude du résultat trouvé ni qu'ils n'y comprennent rien. Parfois, simplement, ils n'ont pas pu faire autrement à cet instant là, parce que les nouveaux schémas utiles n'étaient pas encore disponibles.

Finalement, on peut considérer que dire «J'ai compris» revient à dire «Mon cerveau sait sur quel schéma travailler.»

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3.4 – Schémas mentaux et pédagogie

L'action pédagogique vue au travers du prisme des schémas mentaux consiste donc à mettre en place des conditions dans lesquelles l'apprenant va pouvoir, selon les cas:

  • Élaborer de nouveaux schémas mentaux. (Activités de découverte de notions nouvelles.)
  • Renforcer l'activation de certains schémas plutôt que d'autres pour résoudre une situation donnée, éventuellement jusqu'à l'automatisation. (Exercices d'entraînement.)
  • Généraliser l'utilisation d'un schéma acquis dans un certain contexte à d'autres contextes. (Situations de réinvestissement des compétences acquises.)

L'action pédagogique ne transmet pas directement les schémas mentaux, elle crée les conditions pour que les cerveaux des apprenants les élaborent. Cette construction individuelle se produit de façon inconsciente et involontaire. Lorsque j'apprends quelque chose, je ne décide pas de créer de nouveaux schémas, je ne décide pas non plus d'activer un schéma ou un autre pour traiter les informations liées à cet apprentissage. Cela se produit de façon spontanée. C'est vrai à l'école et c'est bien sûr également vrai dans la vie en général.

Ainsi, un enfant de trois ans qui a eu une petite enfance riche d'expériences aura plus de chances d'arriver à l'école maternelle avec de nombreux schémas mentaux disponibles qu'un enfant ayant eu une petite enfance pauvre en stimulations. Ses apprentissages scolaires se feront alors probablement plus facilement.

J'aime à dire qu'on ne comprend facilement que ce qu'on sait déjà, c’est-à-dire ce pour quoi on dispose déjà des schémas mentaux nécessaires.

Mais pour que les situations vécues induisent une évolution dans les schémas mentaux, trois conditions sont nécessaires:

1- La personne doit être cognitivement engagée dans la tâche

Être cognitivement engagé, c'est mobiliser son système attentionnel pour la résolution de la situation. La mécanique des schémas mentaux étant intimement liée au système attentionnel, elle ne peut, à chaque instant t, se mobiliser que sur l'objet vers lequel est dirigée l'attention à ce même instant.

C'est un point important, notamment à l'école, car nous avons un contrôle limité sur notre attention. Les exercices de méditation le montrent bien. Malgré l'intention de rester focalisé sur par exemple sa respiration, des pensées jaillissent malgré soi. Les intentions conscientes ou inconscientes qui se côtoient et se partagent les ressources attentionnelles sont nombreuses et nous n'avons que peu de prise sur le choix de l'affectation de ces ressources à un instant donné. C'est moins nos intentions conscientes que nos motivations profondes qui orchestrent l'orientation de notre attention et donc l'objet de la mise en branle de la mécanique des schémas mentaux.

Par exemple, je peux observer que lorsque j'assiste à une conférence, il m'est souvent difficile de rester attentive au contenu du discours de l'orateur si le sujet abordé n'est pas un de mes centres d'intérêt. Ma pensée dérive alors sur l'observation de la tenue vestimentaire de l'orateur, sa coiffure, son attitude, son langage non verbal, tous les éléments visuels qui parlent de lui, de ce qu'est sa vie, et non de ce dont il parle. C'est que mon goût pour la psychologie attire spontanément mon attention vers l'observation des comportements. En revanche, si au lieu de regarder l'orateur, je fais des petits dessins automatiques sur une feuille de papier, je n'ai plus aucune difficulté à focaliser mon attention sur le contenu du discours oral, même s'il ne me passionne pas. D'une part, le fait de regarder la feuille sur laquelle je dessine plutôt que de regarder l'orateur induit que je ne reçois plus les informations visuelles tentatrices. D'autre part, le fait de dessiner m'oblige à rester connectée à l'instant présent. Ainsi, je ne pars pas dans mes pensées, je ne suis pas happée par un traitement cognitif suspendu. Mon attention n'étant plus détournée, je peux sans difficulté rester focalisée sur le discours entendu.

Un autre exemple avec un comportement souvent observé chez les élèves en difficulté scolaire. Prenons par exemple un exercice de mathématiques dans lesquels l'élève pense qu'il n'a pas les compétences pour le résoudre. Au départ, l'élève semble s'engager dans l'activité, mais rapidement, au lieu de réfléchir à comment résoudre la situation mathématique, il guette chacun des mots de son accompagnant, chacun de ses gestes et de ses regards, captant le moindre indice qui pourrait le mettre sur la voie de la réponse attendue.

Il s'est involontairement désengagé de la tâche car son intention profonde à ce moment là n'est pas de réussir à progresser dans ses compétences mathématiques mais plutôt de garantir sa sécurité affective. En donnant la bonne réponse il évitera de recevoir une mauvaise note ou de se faire gronder, il aura peut-être même des félicitations.

On voit bien avec ces deux exemples qu'obtenir l'engagement cognitif d'un élève est complexe. Cela dépend de nombreux facteurs que nous ne maîtrisons pas forcément et que d'ailleurs, nous n'identifions pas forcément non plus.

Le jeu est probablement le support d'activité le plus efficace pour obtenir l'engagement cognitif des enfants.

2 - Les modifications à réaliser sur les schémas existants doivent être légères

La complexité s'élabore petit à petit, les schémas évoluent par des modifications nécessairement mineures. Si la marche à monter est trop grande, la situation finit par être gelée et l'apprenant se désengage. On retrouve ici les notions de progression pédagogique et de zone proximale de développement qui sont centrales dans la programmation des contenus scolaires.

3 - La mécanique des schémas mentaux de l'apprenant doit être fonctionnelle

L'autisme peut affecter le bon fonctionnement de cette mécanique, avec pour conséquence de ralentir certains apprentissages si la démarche pédagogique utilisée ne pallie pas ce dysfonctionnement. Ce point est développé dans le chapitre suivant.

Mais si ces trois conditions sont réunies, les situations pédagogiques ordinaires permettent l'acquisition de nouveaux schémas et donc l’émergence de nouvelles compétences.

Pour faciliter l'acquisition de ces nouveaux schémas, la personne qui dispense l'enseignement peut fournir aux élèves des indices. Ces indices sont contenus dans les diverses actions de communication qu'il engage avec les apprenants ou qu'il induit entre des élèves qui «savent» et ceux qui découvrent encore.

Ces indices peuvent être:

  • Des indices graphiques avec l'utilisation de dessins et de schémas.
  • Des indices sonores avec la prosodie de la voix (accentuation, intonation, rythme, …)
  • Des indices corporels avec les expressions faciales, la posture et la gestuelle. Notamment, parler avec les mains peut permettre de donner à voir les schémas dans lesquels la pensée se déplace.
  • L'utilisation de comparaisons ou de métaphores. Comparer, c'est indiquer indirectement d'utiliser un schéma mental déjà en stock, celui qui est habituellement associé au comparant.

La nature et la quantité des indices apportés dans une situation pédagogique donnée dépend de la démarche adoptée. Dans le cadre d'une approche par résolution de problèmes, peu d'indices sont fournis aux élèves. L'acquisition des compétences de chacun repose sur un processus de tâtonnements. À l'inverse, dans le cadre d'une approche par enseignement explicite (je fais, on fait, tu fais), la personne qui enseigne, en montrant sa procédure de résolution et en accompagnant les élèves dans leur appropriation de cette procédure, fournit une plus grande quantité d'indices.

L'approche par résolution de problèmes permet aux enfants qui sont scolairement à l'aise de «jouer» avec les schémas mentaux. Le challenge, le côté ludique, facilitent leur engagement cognitif. C'est donc une démarche intéressante pour les élèves qui ont confiance dans leur capacité à relever le défi et pour lesquels toutes les conditions sont réunies.

L'approche par enseignement explicite pourra mieux convenir aux élèves habituellement en difficulté dans les activités scolaires. Donner à «voir» plus nettement les schémas mentaux qu'on utilise en fournissant le plus d'indices possible facilite alors le développement des compétences.

Mais quand la mécanique des schémas mentaux dysfonctionne, donner des indices peut ne pas suffire.

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3.5 – Autisme et schémas mentaux

On peut imaginer que dans l'autisme, la capacité à créer, à faire évoluer et à activer à bon escient les schémas mentaux disponibles soit altérée, de façon plus ou moins importante selon la sévérité du trouble, et de façon plus ou moins spécifique en fonction de l'étendue des domaines cognitifs affectés.

Ainsi, alors que les élèves neurotypiques arrivent à jongler avec les schémas mentaux, à les faire évoluer au gré de ce à quoi la vie les confronte, les élèves sur le spectre de l'autisme peuvent rester enfermés dans des schémas inadaptés. On comprend aisément que des altérations de la mécanique des schémas mentaux puissent avoir un impact fort sur la capacité de la personne à s'adapter au changement et à la nouveauté.

La question qui se pose alors est de savoir si nous pouvons contourner les dysfonctionnements de la mécanique des schémas mentaux pour que les apprentissages scolaires puissent se faire malgré le trouble autistique, qui lui, ne peut pas être réduit.

Peut-on apporter aux élèves de façon artificielle les schémas qui leur font défaut? Mon expérience avec les élèves me laisse à penser que oui, dans certains cas. Voici quelques exemples vécus que je pense assez parlants.

 

  • Le dénombrement des syllabes avec un élève de moyenne section de maternelle

Nous sommes en moyenne section de maternelle. La maîtresse mène une activité collective sur le découpage des mots en syllabes dans le coin rassemblement. Elle oralise tour à tour le prénom de chaque élève en découpant bien les syllabes. Les élèves de la classe et la maîtresse tapent dans leurs mains en rythme. À la fin de l'oralisation de son prénom, chaque élève doit dire combien de syllabes comporte son prénom.

Lors de ces séances, l'élève que j'accompagne, qui est non verbal, ne semble pas comprendre ce qu'on attend de lui. Il ne synchronise pas le battement de ses mains avec la prononciation découpée des syllabes par le groupe.

Après un certain nombre de séances collectives de ce type, la maîtresse met en place une séance d'activité individuelle. Elle donne à chaque élève des photos de ses camarades de classe, la consigne est de coller chaque photo au bon endroit dans un tableau à quatre colonnes, en fonction du nombre de syllabes du prénom (le prénom le plus long comportant 4 syllabes).

Pour l'élève que j'accompagne, nous mettons en place le dispositif d'aide suivant: des cerceaux placés au sol, dans le hall de l'école, de cette manière:

Avec ce dispositif, l'élève peut se déplacer dans les files de cerceaux au rythme des syllabes oralisées.

Parallèlement à ce dispositif, dans la classe, l'élève a sur sa table de travail quatre feuilles sur lesquelles sont représentées les quatre files de cerceau:

Nous procédons ainsi: l'élève prend la photo d'un camarade, se rend dans le hall et choisit une colonne (au hasard pour commencer). Avec mon aide, il se déplace dans la file de cerceau pendant que j'oralise le prénom correspondant à la photo. Si le nombre de cerceaux ne correspond pas au nombre de syllabes du prénom, je le guide pour qu'il puisse finalement trouver la file qui convient. Une fois cette file identifiée, nous retournons en classe pour coller la photo sur la feuille qui correspond.

Nous effectuons cette procédure pour quinze prénoms, sans progrès manifeste. Mais au seizième prénom, l'élève prend la photo en main, observe le visage qui y figure et hoche 3 fois la tête.(Le prénom du copain en question comportait 3 syllabes). Il court pour se rendre dans le hall et se dirige vers la colonne à 3 cerceaux, avec une joie manifeste et une absence totale d'hésitation.

  • Les algorithmes, avec ce même élève de moyenne section de maternelle

Afin d'aider l'élève à colorier la fiche décrite un peu plus haut selon l'algorithme indiqué, je fournis le matériel suivant: des disques de carton coloriés et reliés entre eux par un fil.

Pour commencer, je positionne le matériel juste au-dessus des trois premiers cercles à colorier. L'élève colorie comme le modèle placé juste au-dessus. Une fois ce coloriage terminé, je déplace le matériel au-dessus des cercles suivants.

Pendant que l'élève colorie comme le modèle, je vois ses yeux se déplacer, faire des allers-retours sur les différents éléments de la fiche. Cette deuxième série de cercles coloriée, je déplace à nouveau le matériel. L'élève le retire de la feuille et le tend vers moi d'un geste ferme, l'outil ne lui est plus utile. Il continue ensuite son activité de façon parfaitement autonome, avec un plaisir évident.

  • Des problèmes de mathématiques avec un collégien

L'élève que j'accompagne n'arrive à résoudre aucun des problèmes de mathématiques que je lui propose, même si je lui donne du matériel à manipuler. Il faut tout guider, autant dire qu'il faut faire à sa place. Je cherche donc comment expliciter les schémas mentaux que j'utilise pour résoudre ce type de problèmes et je crée des fiches comme celle que nous avons vu précédemment, avec dans un premier temps une étape de manipulation de jetons dans une boîte:

 

La manipulation de la boîte se fait sur une trame reprenant les cases du tableau de manière à ce que celui-ci prenne du sens. Une fois cette première étape de manipulation intégrée, l'élève est capable de résoudre seul les problèmes additifs que je lui soumets sur ces fiches. Au fur et à mesure qu'il progresse en calcul mental, il peut également résoudre seul des problèmes soustractifs présentés de cette manière. Il est capable d'identifier l'opérateur à utiliser, sans aide. Une fois l'élève bien à l'aise avec ces fiches, au bout de quelques mois, je lui propose des problèmes similaires dont l'énoncé est présenté de façon ordinaire, c’est-à-dire par un petit texte de quelques lignes. L'élève réussit à les résoudre seul, dès le premier problème proposé, sans aucune difficulté.

  • Du graphisme avec ce même collégien

Afin d'outiller l'élève pour le tracé des lettres cursives, je lui propose régulièrement des activités de copie de coloriage, sur la trame de graphisme présentée en page 32.
Il s'agit de reproduire des modèles, comme par exemple celui-ci:

Cela fait plusieurs mois qu'il réalise régulièrement ce type de tâches pendant ses temps de travail en autonomie.

Un jour, à l'occasion d'une activité de calcul, je lui demande de tracer une étoile à côté de chaque opération qu'il a réussi à résoudre sans aide. J'en dessine une en guise de modèle.

Sa production ressemble à quelque chose comme ça:

Je sors alors une trame vierge et j'y trace une étoile:

Je demande à l'élève de faire pareil sur une seconde trame vierge, ce qu'il fait sans difficultés.

Immédiatement après, je trace un simple carré sur une feuille blanche, j'y dessine une étoile et je lui demande de faire pareil, également dans un simple carré.
L'élève trace l'étoile sans problème.
Je lui demande alors de tracer une étoile sur la feuille, sans aucun repère pour guider son geste. L'étoile est parfaitement tracée, ainsi que celles qui suivent, car emporté par sa joie, l'élève trace des étoiles sur toute sa fiche.

Pour la petite histoire, cet élève a 15 ans à l'époque et d'importantes difficultés de langage. Pendant qu'il trace des dizaines d'étoiles, je pense à toutes ces années d'école au cours desquelles on lui a demandé de décorer des cartes de Noël avec des étoiles, et de tous ces échecs qu'il avait dû vivre, toutes ces blessures. Et pendant que je pense à ça, il dit, «le père Noël».

Ce fut un moment particulièrement émouvant.

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  • De la grammaire du verbe

Nous travaillons la grammaire à partir de petites histoires illustrées de quelques pages.

Les activités que je propose à l'élève ont pour but de l'aider à comprendre la relativité du présent dans le récit et donc la cohérence des formes verbales présentes dans les textes d'une illustration à l'autre.

Après une première étape de lecture de l'histoire et de familiarisation avec les textes de l'album, je fournis à l'élève le matériel suivant:

- Une bande sur laquelle figurent les différentes illustrations de l'histoire dans l'ordre du récit, glissée dans un support de manière à ce que l'on puisse positionner l'illustration de son choix au milieu du support en fonction des besoins.

 

 

 

- Un tableau de verbes dans lequel il peut retrouver les formes verbales de l'histoire

(Le tableau a été travaillé en amont par une activité de recopiage sur l'ordinateur pour que l'élève puisse s'y retrouver facilement.)


 

- Des fiches de ce type à compléter:

Il s'agit, pour chaque phrase, de:

  • Dire si elle décrit une action qui se passe maintenant, avant ou après ce qu'il se passe sur l'illustration en haut de la fiche.
  • Trouver le temps du verbe de la phrase et son infinitif.

Avec le matériel à sa disposition, l'élève peut donner les réponses attendues sans difficultés. Mais l'activité sur fiche n'est qu'un prétexte. Le but de l'activité est de faire utiliser les deux outils matériels d'aide qui, eux, portent des schémas mentaux potentiellement intéressants pour développer la capacité à construire des phrases.

La bande illustrée dans son support est utilisée pour développer ce schéma:

 

L'utilisation conjointe du tableau de verbes permet d'y associer différentes formes verbales utilisées notamment à l'oral:

 

Je ne sais pas si ces activités ont réellement été productives pour cet élève, parce qu'avec les autres activités réalisées en classe, les différentes prises en charge, notamment en orthophonie, et le développement naturel des capacités cognitives du jeune avec l'âge et les multiples expériences de sa vie, il m'est impossible de faire la part des choses. Toujours est-il que cet élève, après un an de travail sur ce type d'activités mais aussi sur des activités d'étude des fonctions grammaticales COD, CCL et CCT, a dit un jour «Il dormera ce soir.», en réponse à une remarque que je venais de faire à un camarade qui venait de bailler. (Le «e» n'est pas une coquille). C'était la deuxième fois que je l'entendais prononcer une phrase qu'il avait construite lui-même.

La première phrase que j'ai entendue de sa bouche, à l'évidence construite par lui, était la phrase «Tu mets sur ma chaise», faisant référence à son manteau, qu'il me confiait pendant une récréation. Cela s'est déroulé juste après une séance de travail sur les compléments circonstanciels de lieu, avec pour outil cette carte mentale:

L'activité consistait à placer au bon endroit des étiquettes correspondant aux groupes fonctionnels contenus dans des phrases afin de pouvoir y identifier le sujet, le verbe, le COD et le CCL, quand il y en avait.
Par exemple, pour l'analyse de la phrase «Léon entre dans la maison», je fournissais les étiquettes Léon entre et dans la maison. Une fois les étiquettes positionnées en s'aidant des couleurs, le jeune pouvait renseigner sur sa fiche de travail les groupes fonctionnels qui constituaient la phrase. Ce faisant, et c'était là l'objectif réel de l'activité, il s'imprégnait des schémas mentaux portés par la carte mentale.

  • Du calcul mental

Nous sommes maintenant avec un élève scolarisé en CE2, avec un TSA léger. Il ne bénéficie pas d'un accompagnement humain, mais ayant une demi-heure de disponibilité devant moi, l'enseignante me demande de travailler avec lui le surcomptage. Elle me précise que cela fait plus d'un an qu'ils travaillent cette compétence. N'ayant pas mon matériel avec moi, je bricole en quelques minutes une file numérique et des réglettes:

 

J'effectue devant lui des surcomptages en utilisant le matériel. Pour calculer par exemple 4+3, je prends la réglette «4», je la place sur la file numérique en me calant sur la gauche de manière à cacher les 4 premières cases, et je réalise la séquence d'actions suivante:

- Je tape avec le poing sur la réglette «4» en disant «4.»
- Je sors trois doigts de mon poing.
- Je dis «plus trois.»
- Je tape à nouveau sur la réglette «4» en disant «4», mais tout en
gardant les trois doigts sortis du poing.
- Je touche la case «5» avec mon pouce, puis les deux cases suivantes
avec l'index et le majeur en oralisant: «5», «6» «7.»
- Je verbalise que le résultat de l'addition est 7.

Après quelques démonstrations, c'est l'élève qui réalise les manipulations seul. Une vingtaine de minutes plus tard, il essaie sans le matériel, avec succès.

Quelques temps plus tard, il m'est demandé de travailler les compléments à 10 avec ce même élève. Je reprends à peu près le même matériel, mais cette fois-ci la file numérique ne comporte pas de chiffres.

Pour trouver par exemple le complément à 10 de «8», l 'élève prend la réglette «8» et la pose sur la file numérique. Il peut alors voir que le complément à 8 est «2». Après un quart d'heure de manipulation, et encore un quart d'heure quelques jours plus tard, l'élève retrouve mentalement tous les compléments à 10. Si je le questionne, il regarde au sol, réfléchit, et me donne le bon résultat.

Les choses ne se passent pas toujours ainsi, je n'ai pas de baguette magique. Mais ces quelques exemples montrent que parfois, en apportant des schémas mentaux de façon visuelle dans le matériel donné à l'élève pour réaliser des activités dans lesquelles il était en échec, on peut lui donner artificiellement les schémas qu'il n'a pas pu se construire lui même.

Une fois ces schémas mentalement intégrés, l'enfant peut les utiliser pour traiter des données sans difficultés.

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4 - Pistes pédagogiques

Dans les situations pédagogiques ordinaires, les enseignants créent les conditions pour que des schémas mentaux efficaces s'élaborent dans le cerveau de leurs élèves.

Être confronté à des situations problèmes nouvelles, échanger entre élèves d'un même groupe, écouter attentivement les explications de la maîtresse, observer les autres faire, s'imprégner en s'exposant fréquemment par exemple à la lecture ou au dénombrement, manipuler, toutes ces activités participent à l'élaboration des schémas mentaux.

Dans ce contexte, pour les élèves neurotypiques, les erreurs sont constructives. Elles permettent d'écarter des schémas inopérants, d'affiner le tri, de préciser les contours du schéma le plus fonctionnel qui, une fois validé, sera activé automatiquement et rapidement pour toutes les situations similaires.

Parfois, ces pratiques sont efficaces aussi pour les élèves avec autisme, notamment quand les schémas à utiliser sont séquentiels, c’est-à-dire quand il s'agit de juxtaposer des éléments. C'est par exemple le cas avec la numération qui est un point fort de nombreux enfants sur le spectre.

Mais quand ça ne fonctionne pas, quand les schémas ne s'élaborent pas, on peut tenter de contourner le trouble en apportant matériellement des schémas à l'enfant, qu'il va éventuellement pouvoir intégrer mentalement à force d'utilisation et grâce auxquels il va pouvoir devenir autonome dans la réalisation des tâches, comme les exemples précédents l'ont montré.

Il est important cependant de préciser que dans certains cas, les apprentissages ne se font pas malgré l'adaptation des activités, c'est en tout cas l'expérience que j'ai pu avoir avec certains élèves ou certains apprentissages. Mais peut-être que quelqu'un d'autre, en s'y prenant autrement aurait réussi. Dans tous les cas, on peut essayer du moment que les activités proposées à l'enfant ne le mettent pas en souffrance et que, au contraire, elles améliorent sa qualité de vie à l'école.

Nous l'avons vu dans les exemples précédents, très souvent, les schémas mentaux peuvent être apportés par des outils d'aide que l'enfant pourra utiliser pour réaliser les tâches. Quand c'est possible, c'est idéal. L'enfant peut alors faire les mêmes activités que le reste de la classe et l'inclusion lui profite pleinement. Mais il n'est pas toujours possible de coller au rythme de la classe et il faut parfois créer des fiches d'activités spécifiques. Nous allons donc envisager les deux cas dans le chapitre suivant.

4.1 – Concevoir des outils d'accompagnement pour la classe ordinaire

Voici un outil développé pour l'addition de nombres relatifs:

L'élève dispose de réglettes et d'un support sur lequel il va pouvoir les positionner. Par exemple, s'il doit calculer 7 + (-4):

L'élève positionne les réglettes et peut lire le résultat sur le support. En utilisant ce matériel, il peut développer la représentation de l'addition d'un  nombre positif comme correspondant à un déplacement vers la droite, et l'addition d'un nombre négatif comme correspondant à un déplacement vers la gauche.

L'outil doit être introduit auprès de l'enfant de façon explicite. Manipuler l'outil correctement suppose de savoir déjà comment il fonctionne. Pour utiliser l'outil, il faut disposer d'un schéma mental spécifique à cette utilisation. Ce schéma étant séquentiel (je regarde le premier terme de l'addition, je prends la réglette qui correspond, je la pose sur le support avec le début de la flèche au niveau du zéro, je regarde le deuxième terme de l'addition, je prends la réglette qui correspond, je la pose sous la première réglette, le début de la flèche au même endroit que la fin de la flèche de la première réglette, je regarde la ligne pointée par la fin de la flèche de cette deuxième réglette, je remonte le long de la ligne et je lis le résultat), l'élève devrait pouvoir rapidement s'approprier la démarche. Pour commencer, l'adulte fait et l'enfant observe. Ensuite, ils font ensemble, et quand l'élève est prêt, il manipule seul. Faire ensemble peut se faire en procédant par chaînage arrière: l'adulte prend en charge toutes les étapes sauf la dernière, puis la fois suivante toutes les étapes sauf les deux dernières, et on remonte ainsi jusqu'à ce que l'enfant réalise seul la totalité de la procédure.

Une fois pris en main par l'enfant, cet outil peut être utilisé en inclusion en classe ordinaire. Comme sa manipulation prend du temps, l'élève ne pourra peut-être pas suivre au même rythme que les autres, mais il pourra faire en autonomie et être en réussite.

L'effort que demande la manipulation des étiquettes peut sembler être un inconvénient, mais c'est plutôt un avantage. Quand l'élève aura intégré l'outil et pourra faire mentalement en confiance, il abandonnera naturellement les aides, parce que ce serait plus coûteux de les utiliser que de faire mentalement.

Les élèves que j'ai accompagnés ont toujours abandonné les aides quand elles ne leur étaient plus utiles. Faire comme les autres, seul, est source d'une grande satisfaction. Il m'est arrivé de voir des élèves garder un moment les aides alors qu'en réalité ils savaient faire sans, je ne les ai pas brusqués. Je considère que la confiance dans ses compétences est l'étape ultime et que les peurs qui la précèdent doivent être respectées. Tant que l'élève a peur d'être en échec, les aides lui sont utiles. Une fois la confiance acquise, il n'a plus besoin des aides et il les abandonne.

Dans un autre domaine, voici un outil imaginé pour un collégien en difficulté dans ses relations sociales lors des récréations. Ne sachant pas comment entrer verbalement en contact avec les autres élèves, il naviguait de groupe d'élèves en groupe d'élèves, oralisant parfois une phrase publicitaire ou riant de façon inappropriée. Son envie de rentrer en contact avec les autres collégiens était évidente, sa souffrance également. Ce jeune étant lecteur, j'ai installé sur un téléphone une application d'agenda qui comportait sept onglets, un par jour.

J'avais rempli l'agenda de sorte que lorsque l'élève ouvrait un onglet, il trouvait une liste d'affirmations ou de questions parmi lesquelles choisir pour engager la conversation ou répondre à des questions.

Par exemple, sur tous les onglets il trouvait ces phrases générales:

Bonjour,
Comment ça va?
Ça va bien, merci. Et toi?

Comment tu t'appelles?
T'es dans quelle classe?
Comment s'appelle ta copine?
Comment s'appelle ton copain?

Tu as déjà mangé?
Qu'est-ce qu'on mange?

Il fait froid.
Il fait chaud.
Il y a du vent.
Il pleut.

Il trouvait ensuite pour chaque jour des phrases adaptées au contexte de la journée. Par exemple, le lundi:
Est-ce que tu as passé un bon week-end?
Qu'est-ce que tu as fait ce week-end?
Est-ce que tu viens au club théâtre?
Est-ce que tu vas aller au CDI?

Je rajoutais également des propositions de phrases en fonction des événements du moments (noël, vacances, sorties, …)

Avec cet outil, l'élève pouvait engager la conversation lorsqu'il abordait un groupe d'élèves. Il lisait la phrase qu'il avait choisie et recevait des réponses. Avec le temps, il a mémorisé suffisamment de phrases pour pouvoir se séparer de l'outil.

Fournir des outils matériels à l'élève permet d'aller au-delà de ce que peut apporter le simple accompagnement humain.

Pour être efficaces, les outils d'aide doivent:
- Répondre à un besoin.
- Apporter des schémas mentaux, qu'on espère efficaces.
- Être introduits explicitement par l'accompagnant.
- Permettre à l'élève d'être en réussite.
- Pouvoir être manipulés par l'élève de façon autonome une fois leur
fonctionnement intégré.
- Être plus coûteux en efforts que la réalisation mentale de la tâche
quand elle sera possible.

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4.2 – Concevoir des activités spécifiques

Dans certains cas, mettre à disposition du matériel à manipuler ne suffit pas à permettre à l'enfant de réaliser des activités avec ses pairs, notamment quand les activités à réaliser supposent l'intervention de plusieurs schémas. Il faut alors créer des progressions spécifiques pour rendre les activités accessibles.

Voici une progression d'activités élaborée pour permettre à un adolescent de jouer au jeu Halli Galli avec ses camarades du dispositif ULIS. J'en ai légèrement modifié les règles pour mes besoins. Le jeu est composé de nombreuses cartes sur lesquelles sont dessinés des fruits. Sur chaque carte sont représentés entre 1 et 5 fruits, tous identiques. Ce sont soit des fraises, soit des citrons verts, soit des bananes, soit des prunes. Chaque carte existe en plusieurs exemplaires.

Les cartes sont mélangées et toutes distribuées aux participants. Chacun tient donc dans ses mains un paquet de cartes. À son tour, il pose la première carte de son paquet sur un support matérialisant 5 emplacements.

Si les 5 emplacements sont déjà occupés par des cartes, il recouvre avec sa carte l'une des cartes de son choix. Si, une fois la carte posée, l'un des participants observe que 5 fruits identiques sont visibles, il se manifeste et empoche toutes les cartes présentes sur le plateau. Ceci fait, il place une nouvelle carte et un nouveau tour commence. À la fin de la partie, on compte les cartes de chacun et celui qui en a le plus a gagné.

Je crée pour l'élève que j'accompagne une progression d'activités préparatoires dont l'objectif est de lui faire intégrer les schémas mentaux nécessaires au traitement des informations portées par les cartes pendant le déroulement du jeu, quand le moment sera venu de jouer avec ses camarades.

Remarque:
Les illustrations que vous trouvez ici sont simplifiées. Les bananes sont représentées par des points jaunes, les fraises par des points rouges, les prunes par des points violets et les citrons par des points verts. Les activités utilisées avec les élèves doivent reprendre les images réelles des cartes du jeu. Les illustrations réalisées pour l'ouvrage présent ne servent qu'à illustrer ma démarche.

Première activité: les différentes façons d'obtenir 5 fruits identiques

Je demande à l'élève de reproduire la fiche suivante:

Pour ce faire, je lui fournis une fiche vierge et des étiquettes à coller. L'activité demandée consiste donc à reproduire la fiche modèle en collant les étiquettes qui conviennent.

À partir du moment où l'élève sait dénombrer, sait additionner et sait s'organiser sur la feuille pour reproduire le modèle, il sera en réussite et l'activité sera structurante puisqu'elle mettra en évidence les différentes façons d'obtenir 5 avec les cartes du jeu.

Le schéma mental en jeu ici est porté par la fiche modèle. Il correspond aux décompositions additives de 5.

Je réalise la même activité avec les fraises, les citrons verts et les prunes. Je donne toujours la fiche modèle, l'objectif ici n'étant pas de savoir retrouver les décompositions additives de 5 mais de savoir les identifier dans une série de cartes.

Activité 2: repérer dans un groupe de cartes donné une combinaison de 5 et seulement 5 fruits identiques

L'élève doit classer les étiquettes dans un tableau à deux colonnes: je vois 5 et seulement 5 bananes, ou je ne vois pas 5 et seulement 5 bananes.

 

Sur les étiquettes, les bananes sont rendues saillantes par rapport aux autres fruits en appliquant de la transparence aux endroits utiles.

Pour cette activité, comme à chaque fois que je propose une activité nouvelle, je fournis le modèle. Le modèle peut être le même tableau, déjà complété, ou plus simplement, la réponse au dos de chaque étiquette.

On peut réaliser la même activité pour chaque fruit. Ce ne fut pas utile pour l'élève avec lequel j'ai travaillé sur ces activités. La généralisation d'un fruit à un autre s'est faite sans aucune difficulté, ce qui nous a permis d'aller rapidement aux activités suivantes.

Le schéma mental utilisé ici est celui correspondant au tableau à deux colonnes que je fais manipuler à l'élève. Vous pouvez observer que j'ai fait figurer la liste de tous les cas dans lesquels il n'y a pas strictement 5 bananes dans l'en-tête du tableau, dans la case «il n'y a pas 5 bananes». Ainsi, la consigne il y a 5 et seulement 5 bananes peut prendre précisément le sens qu'on veut lui donner ici.

Activité 3: il y a 5 fraises ou il y a 5 bananes

Avec cette activité, je cherche à montrer la juxtaposition des actions de recherche de «5 fruits identiques». Ici le tableau à deux colonnes n'est pas utilisé pour identifier deux possibilités complémentaires comme «il y a / il n'y a pas», mais pour commencer à introduire le fait qu'il va falloir mener des recherches en parallèle pour chacun des 4 fruits.

Comme toujours, je n'oublie pas de fournir le modèle pour les premières réalisations, jusqu'à ce que l'élève puisse faire seul.

Activité 4: le tableau se complexifie

Ici, on ajoute, par rapport à l'activité 3, le cas où il n'y a ni 5 bananes ni 5 fraises. Le tableau prend une valeur mixte entre l'activité 2 et l'activité 3. L'élève regarde, simultanément ou consécutivement, s'il y a 5 bananes ou s'il y a 5 fraises, et si ce n'est pas le cas, il classe l'étiquette dans la troisième colonne.

 

Bien sûr, les compositions de cartes fournies à l'élève sont encore une fois spécifiquement conçues pour rentrer dans le tableau sans créer de sources de confusion pour la suite (c’est-à-dire pas de combinaison dans laquelle il y aurait 5 citrons verts ou 5 prunes).

Activité 5: préparer l'action physique qui sera demandée à l'élève 

Lors du jeu, il ne sera pas demandé à l'élève de déplacer la combinaison de cartes présente sous ses yeux, mais de se manifester quand il observera 5 fruits dans cette combinaison. L'élève étant non verbal, j'ai prévu de lui fournir la bande de papier suivante avec pour consigne de pointer la case qui correspond lorsqu'il voit strictement 5 fruits identiques.

Pour préparer l'action demandée, je lui propose de réaliser l'activité suivante:

 

Pour chaque composition présente sur la fiche, l'élève colle l'étiquette qui correspond.

Toujours et encore, je fournis une fiche modèle pour les premières réalisations.

Nous avons ensuite pu jouer, d'abord l'élève seul, puis à deux, puis à quatre avec ses camarades de classe.

Le bilan de cette progression d'activités a été très positif pour cet élève. D'ordinaire, lorsqu'il s'installait avec ses camarades dans le coin repos de la classe pour un jeu de société, son manque d'enthousiasme était visible. Avachi sur le fauteuil, il s'enfermait dans ses stéréotypies et chaque action devait lui être arrachée. Lorsque nous avons joué pour la première fois avec ses camarades, il s'est soudainement redressé à la vue du matériel de jeu, s'est installé bien en face du plateau et s'est mis à jouer avec un plaisir manifeste.

Pour être efficace, une progression d'activités doit:

  • Viser une compétence précise pour laquelle tous les schémas mentaux à acquérir sont identifiés.
  • Apporter ces schémas mentaux un par un. Un schéma par étape.
  • Aller du plus simple au plus complexe.

Comme toujours, chaque activité doit être introduite explicitement et l'élève doit pouvoir être toujours en réussite grâce à l'utilisation d'outils référentiels.

Les outils matériels d'aide peuvent également avoir une autre fonction que celle de donner à voir les schémas mentaux qu'on souhaite développer. Ils peuvent également être des outils pour alléger la charge mentale nécessaire à la bonne réalisation de l'activité.

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4.3 – Alléger la charge mentale

Imaginons les différentes actions mentales que je réalise quand je cherche l'arrondi d'un nombre au dixième près si j'opère selon le protocole généralement enseigné à l'école. Prenons par exemple le nombre 4,58:

- Je repère le chiffre des dixièmes.
- Je regarde le chiffre qui suit.
- Je regarde si ce chiffre se trouve avant 5 ou après 4.
- Puisque 8 est après 4, je visualise que je vais me déplacer sur la ligne numérique vers la droite.
- Je regarde le chiffre des dixièmes afin de le replacer en mémoire de travail et j'ajoute 1. Je maintiens le résultat en mémoire à court terme.
- Je regarde le chiffre des unités afin de le rendre également disponible en mémoire de travail, je place ma virgule et je place ensuite le chiffre trouvé à l'étape précédente, s'il est toujours en mémoire. J'obtiens le nombre recherché.

Pour arrondir, je sollicite donc plusieurs schémas mentaux:

- Les «cases» qui contiennent les différents chiffres composant un nombre décimal associées à leurs noms (unités, dixièmes,...), le tout dans le référentiel fixé par la virgule.
- La position relative des nombres sur la ligne numérique.
- Ajouter 1.

Chacun de ces schémas est utilisé en lien avec les données à traiter, qui doivent être présentes dans la mémoire à court terme au moment où j'en ai besoin.

Quand les protocoles sont bien rodés, que la succession des schémas à utiliser est maîtrisée et automatisée, que leur manipulation est peu coûteuse en terme de charge mentale, cette dernière reste pleinement disponible pour le maintien en mémoire à court terme des informations à traiter. Je peux réaliser l'action mentale demandée facilement.

Mais lorsque le jonglage avec les schémas à utiliser n'est pas fluide, du fait de l'autisme ou de protocoles non automatisés parce que complexes ou trop récemment acquis, on peut avoir du mal à maintenir les informations à traiter dans la mémoire à court terme. La charge mentale liée à l'activité est alors trop lourde, l'effort porté sur la manipulation des schémas peut induire la perte des données à traiter et la récupération de ces données peut induire la perte des schémas.

Il peut alors être utile de donner à l'élève des supports qui lui permettront non seulement de savoir quels schémas mentaux utiliser, mais aussi de pouvoir noter toutes les informations à traiter pour pouvoir à tout moment les réactiver dans la mémoire à court terme.

Voici un outil d'aide pour arrondir au dixième près qui permet à la fois de montrer les schémas et de réduire la charge mentale. Il s'agit d'un support à insérer dans une pochette plastique de sorte que l'élève peut y écrire au feutre d'ardoise les données à traiter et réutiliser ensuite le matériel.

Pour arrondir 4,58 au dixième près, l'enfant commence par écrire sur sa fiche:

Ensuite, il repère le «8» sur la file numérique en dessous et entoure ce chiffre. Le 8 se trouvant dans l'encadré de droite, il suit le protocole indiqué: il écrit le chiffre des dixièmes dans la case bleue, effectue l'addition et obtient le résultat:

La fiche apporte:

Un protocole à suivre du haut vers le bas.
La matérialisation de schémas mentaux pertinents.
La possibilité d'inscrire toutes les données utiles dans les schémas matérialisés.

On peut considérer la succession des schémas mentaux à utiliser comme un schéma en soi.

Avec cette fiche, parce que tous les éléments qu'elle contient font sens ensemble, l'élève va pouvoir se déplacer dans un schéma unique qui pourra être plus facilement intégré. Et comme toutes les informations à traiter peuvent être matérialisées sur les schémas, les difficultés liées à la brièveté du temps de maintien en mémoire à court terme sont contournées. La charge mentale est considérablement allégée.

L'estompage de l'aide pourra se faire en réduisant petit à petit l'usage de la fiche comme support d'écriture. On pourra demander de ne pas entourer le chiffre des centièmes sur la file numérique, de faire l'addition sans la noter dans l'encadré vert, de ne pas noter le résultat final sur la fiche mais directement sur le cahier, et enfin de ne plus rien écrire, juste garder la fiche sous les yeux et suivre le chemin mentalement si besoin.

On augmente ainsi petit à petit la charge mentale liée au maintien des informations en mémoire à court terme, en même temps que celle liée à la manipulation des schémas mentaux va s'alléger avec leur intégration.

Poser les données à traiter sur des post-it pour pouvoir ensuite les placer sur une trame matérialisant le schéma mental qu'on souhaite développer peut également être intéressant, d'une part pour alléger la charge mentale mais aussi pour donner à voir l'aspect dynamique que peut nécessiter la manipulation de certains schémas.

Par exemple dans les problèmes de mathématiques, quand les données ne sont plus présentées dans l'ordre de l'opération ou que les schémas se complexifient, on peut proposer à l'élève de commencer par écrire chaque nombre de l'énoncé sur un post-it, qu'il va ensuite placer sur le schéma matériel à l'endroit qui lui semble convenir. S'il constate que sa proposition ne convient pas, il peut déplacer les papiers et tenter d'autres essais.

Un autre exemple d'utilisation de post-it pour alléger la charge mentale avec une activité en anglais: construire des phrases du type «Do you have a pet?» et les réponses possibles «Yes I do» et «No I don't» pour les réponse courtes, ou «Yes, I have...» ou «No, I don't have a pet» pour les réponses longues.

On peut mettre à disposition de l'élève le matériel suivant:

 

Une trame pour les phrases avec des repères couleur, et des post-it colorés à poser sur la trame. Chaque étape de la construction de la phrase est ainsi matérialisée, ainsi que les différents choix possibles. (On pensera à fournir également à l'élève tous les référentiels dont il pourrait avoir besoin, comme par exemple une indication de la correspondance I/you/we/they→do/don't et he/she/it→does/doesn't.)

La manipulation des post-it sur la trame permet de développer la compréhension de la structure grammaticale de la phrase travaillée en minimisant la charge mentale nécessaire à la réalisation de l'activité.

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4.4 – Points de vigilance

  • Des schémas de base à respecter

Sur un schéma électrique, vous viendrait-il à l'idée de placer le générateur sur la branche verticale de droite? Lorsque vous résolvez une équation mathématique, placez-vous toujours les «x» à gauche du signe égal? Est-il confortable de suivre un discours élaboré à la manière de Yoda, avec les verbes à la fin des phrases?

Nos raisonnements, nos pensées, s'élaborent sur des schémas qui se diversifient et évoluent au fur et à mesure de notre développement cognitif, sur une base de schémas primaires.

Par exemple, on a tendance à placer verticalement, du haut vers le bas, toute succession d'éléments dont les premiers génèrent les suivants: les grands-parents en haut, les enfants au milieu et les petits-enfants en bas. Le générateur électrique sur la ligne horizontale du haut du schéma électrique. Par extension, pour un enfant non lecteur, toute succession d'événements se déroulant selon un ordre chronologique sera présentée ainsi, du haut vers le bas.

Avec l'apprentissage de la lecture, on apprend à associer cette représentation verticale à la représentation horizontale dans le sens de lecture, de la gauche vers la droite. Ces deux représentations coexistent,  l'une ou l'autre pouvant être préférentiellement choisie en fonction du contexte. Les électroniciens représentent leurs schémas électriques avec le générateur à gauche alors que les collégiens placent le générateur en haut.

En revanche, dans l'arbre généalogique, les aïeux sont en bas et les descendants en haut. S'y retrouver dans une représentation élaborée sur un schéma inversé n'est pas forcément compliqué, comme dans le cas de l'arbre généalogique, mais ça peut l'être, d'autant plus si on est sur le spectre de l'autisme, et d'autant plus quand les schémas sont complexes.

Toute représentation construite sur un schéma dysharmonieux par rapport aux schémas de base, c’est-à-dire qui ne respecte pas les schémas de base, va devoir être mentalement transposée dans un schéma harmonieux pour que les informations puissent être traitées. Quand je «lis» un arbre généalogique, je transpose mentalement les données qu'il contient dans un schéma inverse, les aïeux en haut et les descendants en bas, comme quand je lis un texte présenté à l'envers.

Cette gymnastique mentale n'est pas forcément évidente quand les schémas sont complexes, d'autant plus si le schéma dans lequel il faut transposer les informations pour pouvoir les traiter n'est pas explicitement donné.

Les difficultés de nombre d'élèves à comprendre les tableaux de proportionnalité en sont une bonne illustration.

Imaginons le problème mathématique suivant:

«3 kg de pommes coûtent 12 €. J'achète 20 kg de pommes. Quelle somme
dois-je payer?»
Pour raisonner sur ce type de problèmes, je procéderais mentalement d'une
manière que je pourrais représenter ainsi:

Toutes les personnes à qui j'ai soumis la question m'ont fait cette même réponse. Sur une même ligne, je place les deux valeurs qui se rapportent à la même réalité. 3Kg de pommes et 12€ se rapportent à la même réalité, ces deux valeurs sont donc sur la même ligne. À partir de cette ligne, je vais pouvoir dérouler mon raisonnement vers le bas.

Or, les tableaux de proportionnalité présentent les nombres d'une manière différente:

Cette organisation des données ne respecte pas l'architecture des schémas de base, ce qui oblige le cerveau à effectuer des allers-retours entre la présentation qui est offerte à la vue et celle qui permet le raisonnement. C'est pourquoi, pour la résolution de problèmes faisant appel à des situations de proportionnalité, en cas de difficultés persistantes, je propose d'utiliser un tableau présenté de façon verticale, qui va permettre de «ranger» les données de l'énoncé de façon cohérente avec les schémas de base et ainsi faciliter leur traitement. Une fois ce traitement réalisé, on peut basculer les données dans un tableau standard. Le lien entre les deux représentations pouvant alors être rendu explicite.

 

  • Attention aux couleurs

L'usage des couleurs n'est pas neutre. Nous sommes tous un peu synesthètes, certaines personnes le sont beaucoup. Nous associons les couleurs claires à la joie, les couleurs sombres à la tristesse, le rouge à la colère, le bleu à la paix… Certaines personnes associent également les lettres, les mots, les jours, les personnes ou de nombreuses autres choses encore à des couleurs. Ces associations peuvent être variées, chaque personne pouvant avoir des associations différentes. Me concernant, j'aurais tendance à utiliser spontanément certains repères couleur plutôt que d'autres pour tel ou tel élément des supports que je crée. Mais l'élève qui va travailler avec ces supports n'a pas forcément les mêmes associations que moi, et les couleurs que j'ai choisies peuvent entrer en contradiction avec ses propres représentations. Il est donc important, quand c'est possible, de laisser l'élève choisir les couleurs de ses supports en lui proposant de surligner ou colorier lui-même et en mettant à sa disposition suffisamment de surligneurs pour qu'il puisse intuitivement sélectionner celui qui correspond le mieux à ses associations.

  • Prévoir l'estompage des aides

Les aides doivent pouvoir être estompées pour que l'élève puisse, à terme, s'en passer. Il est donc utile de prévoir l'estompage des guidances. On peut, selon les cas, supprimer une partie du matériel, cacher une partie du support, demander d'écrire sur un autre support tout en gardant le support sous les yeux, regarder le support puis le cacher, et finalement ne garder les supports que pour un coup d’œil rapide afin de réactiver le schéma pertinent avant de réaliser l'activité. Il est préférable de laisser l'estompage se faire le plus naturellement possible. Dans tous les cas, l'enfant abandonne les aides dès qu'il se sait compétent. Il est important de respecter le temps dont il a besoin pour se faire confiance.

  • Changer la proposition quand ça ne fonctionne pas

Voir les schémas mentaux que l'on mobilise pour traiter des informations est difficile. Nous sommes plus habitués à observer le résultat du traitement que le traitement lui-même. Il est donc très facile de se tromper et de proposer des schémas qui ne sont pas fonctionnels pour l'enfant ou qui sont insuffisants.

J'ai évoqué en introduction de cet ouvrage la situation d'un élève à qui les enseignants proposaient depuis des années la manipulation de cubes encastrables pour travailler la notion d'addition, sans résultat. Pour faciliter l'élaboration d'une représentation mentale de l'addition comme étant un déplacement sur la ligne numérique, je lui ai proposé de travailler avec des réglettes à positionner sur une file numérique, un peu comme celles décrites au chapitre 4.1 pour le calcul avec les relatifs. Ces manipulations de réglettes ont participé, avec d'autres activités, à l'émergence de compétences nouvelles, mais additionner restait laborieux. Cet élève étant très à l'aise avec la représentation des nombres en barres et cubes, j'ai élaboré un nouvel outil, un classeur sur lequel tous les nombres de 0 à 100 étaient représentés ainsi:

 

L'idée était qu'il puisse utiliser ce classeur avec du matériel pour réaliser des calculs. En ajoutant par exemple une barre de 4 petits cubes jaunes en carton sur le nombre 41, il devait pouvoir constater qu'on obtenait 45. Lorsque j'ai présenté le classeur au jeune, il s'en est emparé et il a tourné les pages une par une, consciencieusement, de 0 à 100, répétant régulièrement «il comprend». Le lendemain, il effectuait mentalement toutes les additions de nombres entiers inférieurs à 20 que je lui soumettais, avec une parfaite fluidité.

Pour cet élève, je pense que représenter le calcul comme un déplacement sur la ligne numérique ne suffisait pas. J'imagine qu'il avait également besoin de «voir» le passage de la dizaine, peut-être aussi le principe d'itération de l'unité (trois c'est deux et encore un.)

Quand le matériel proposé à l'élève n'aboutit pas, ou quand l'estompage des aides ne peut pas se faire, que l'élève en reste dépendant, il est important de remettre en question la stratégie déployée. Ce n'est pas évident, parce qu'il faut souvent du temps et de nombreuses manipulations pour que les schémas portés par les outils d'aide soient intégrés. Il n'est donc pas facile de savoir si on doit continuer dans la direction prise ou en définir une nouvelle. L'observation de l'investissement de l'enfant dans les activités fournit de bons indices sur ce point. Si l'engagement dans une activité donnée faiblit, c'est peut-être que l'élève a pris tout ce qu'il avait à prendre et qu'il faut passer à autre chose.

Remarque:
Quand un élève a eu un vécu scolaire douloureux, et ce d'autant plus si ce vécu a duré dans le temps, il peut être difficile de savoir si une activité nouvelle est adaptée à ses besoins en se basant sur ses réactions. Si la  peur de l'échec s'est installée, l'enfant peut montrer beaucoup de résistance à la nouveauté. On peut alors devoir avoir recours à l'usage d'un renforçateur pour passer le cap de la découverte de la nouvelle tâche. C'est seulement ensuite, quand cette étape est passée, que le rejet de l'activité pourra être indicatif de la bonne ou mauvaise adéquation de la proposition pédagogique aux besoins de l'enfant.

  • Préserver la dynamique de la classe

En incluant les élèves porteurs de handicap cognitif dans les classes ordinaires, on leur donne la possibilité de tirer un grand bénéfice de tout ce qui s'y passe. La richesse des interactions, le vécu collectif, la diversité des domaines de découverte, l'émerveillement face à la nouveauté, les émotions partagées, les apprentissages… Même si ce n'est pas toujours visibles pour l'observateur, tout est précieux. Mais la scolarisation en classe ordinaire peut aussi générer beaucoup de souffrance. Il n'est pas toujours facile de trouver le juste équilibre entre les deux, préserver les bénéfices du collectif tout en évitant ses inconvénients.

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4.5 – Évaluer les compétences

Bien que les outils d'aide soient conçus pour que leur utilisation puisse être estompée, jusqu'à disparaître quand c'est possible, il arrive que l'enfant reste en partie ou totalement dépendant de ces outils, si la charge mentale reste trop lourde parce que les informations à traiter sont trop nombreuses ou les schémas mentaux trop complexes, ou tout simplement parce que le rythme de la classe est trop rapide pour que le processus d'intégration des schémas puisse aboutir.

Dans ces cas-là, il est important que les outils d'aide puissent être utilisés par l'élève pour les évaluations. Être à l'école avec les autres, suivre avec les autres, faire les contrôles comme les autres et recevoir des notes, comme les autres, c'est important pour les enfants. Ne pas proposer à l'élève de faire les contrôles ou ne pas noter sa production revient à exclure. Puisque les notes font encore malheureusement partie du paysage scolaire, et parce que, les choses étant ce qu'elles sont, elles ont une grande importance pour les enfants, les élèves porteurs de handicap ont besoin d'en recevoir, comme leurs camarades.

Mais ces notes ne doivent pas être décourageantes. Utiliser les outils d'aide pendant les évaluations permet de concilier ces contraintes. À partir du moment où la communication avec les familles et les autres élèves de la classe est suffisamment riche pour que chacun en comprenne les enjeux, il n'y a que des avantages à procéder ainsi.

4.6 – Étapes clés du processus de création des adaptations

Si le concept de schéma mental est simple, il s'intègre dans un réel forcément complexe. Il peut donc être difficile de ne pas se noyer dans cette complexité au moment de créer des outils ou des supports d'activité adaptés. Je vous propose ici une énumération succincte des étapes qui balisent mon travail d'adaptation ainsi que la conception de la mise en œuvre concrète des activités.

1 - Je cherche à identifier des schémas mentaux pertinents pour réaliser la tâche en observant ceux que je mobilise moi-même.

2 - Je réfléchis à une façon de matérialiser ces schémas en veillant à ce que celle-ci soit compatible avec les schémas mentaux de base et les schémas mentaux dont l'élève dispose déjà.

3 - Je mets en scène les schémas dans des activités que l'élève pourra effectuer sans que j'aie à parler: je dois pouvoir transmettre le «mode d'emploi» simplement en faisant moi-même devant l'enfant, en pointant, en cachant, en utilisant des repères couleur, en montrant le modèle… 

Deux cas sont possibles en fonction des situations. Soit je crée des outils d'aide que l'élève va pouvoir utiliser pour réaliser les mêmes activités que ses camarades de classe sur les mêmes supports, soit je crée des supports pédagogiques spécifiques.

Dans le cas où je crée des supports pédagogiques spécifiques, je prévois une progression d'activités avec les plus petites marches possibles, en veillant à ce que la progression dans les activités soit très structurée. Par exemple, si je veux enseigner les additions, je vais faire ajouter 1, puis quand c'est acquis ajouter 2, et petit à petit je vais construire la complexité. C'est seulement quand tout sera acquis que je pourrai proposer des opérations mélangées.

Je veille également à ce que l'élève sache toujours ce que j'attends de lui en terme d'action physique et je prévois des étapes spécifiques si besoin. Dans l'exemple de la progression pour le jeu Halli Galli évoqué au chapitre 4.2, on aurait pu imaginer l'étape préparatoire suivante: coller des étiquettes blanches sur une fiche semblable à celle de la première activité pour montrer le geste attendu: coller des étiquettes dans les cases du tableau. Je ne l'ai pas fait pour cet élève, ce n'était pas utile, mais ça aurait pu être utile pour d'autres.

Pour une compétence donnée, jusqu'à ce qu'elle soit acquise dans le contexte que j'ai créé, j'utilise toujours la même présentation pour les supports d'activité. L'enfant sait ainsi avec certitude ce que j'attends de lui. Une fois la compétence acquise dans le contexte créé pour l'apprentissage, je vais travailler à la généralisation de la compétence dans d'autres contextes, en variant les supports mais en maintenant à disposition de l'enfant une représentation imagée qui rappelle le contexte d'apprentissage ou le schéma mental travaillé. L'enfant peut ainsi savoir quel schéma doit être mobilisé dans le nouveau contexte.

4 - Je pratique l'enseignement explicite: «Je fais / on fait / tu fais».
J'introduis le matériel auprès de l'élève en commençant par l'utiliser moi-même, l'élève observe. Je lui demande ensuite, lors des essais suivants, de prendre en charge une partie de plus en plus grande des actions à réaliser, jusqu'à ce qu'il soit autonome dans la réalisation complète.

5 - Une fois que l'élève sait faire seul, je commence à prévoir l'estompage des aides. Petit à petit, en fonction des progrès de l'élève, je propose d'enlever des guidances ou je diminue les informations que contient le matériel. Je laisse cependant à l'élève la possibilité d'avoir recours aux aides complètes autant qu'il le souhaite de manière à ce qu'il reste en confiance.

Remarque:

Il n'est parfois pas possible d'atteindre cette étape d'estompage des aides, car le rythme scolaire ne permet pas toujours de disposer d'assez de temps. C'est notamment souvent le cas au collège. Ce n'est pas forcément un problème. Il faut du temps pour intégrer les choses, et une notion non aboutie sur l'instant peut être finalement intégrée plus tard. Les programmes du collège étant conçus de façon spiralaire, la notion sera à nouveau abordée l'année suivante, ce qui permettra de poursuivre le travail commencé.

6 - Je range le matériel dans un classeur pour pouvoir l'utiliser à l'avenir, pour réactiver les schémas mentaux qu'il évoque ou pour servir de base à l'élaboration de schémas plus complexes.

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5 - Conclusion

L'autonomie des enfants est un objectif central à l'école comme à la maison, qu'ils portent un handicap ou non. Mais quel sens met-on derrière ce mot?

L'autonomie est définie comme étant la capacité à ne pas être dépendant d'autrui. Mais le lien qui lie autonomie et dépendance n'est pas un simple lien d'opposition.

Si on considère par exemple une personne avec un trouble visuel, disons une forte myopie, cette personne est dépendante de ses lunettes pour voir. Sans ses lunettes, elle n'est pas autonome pour ses déplacements puisqu'elle ne peut pas voir correctement son environnement. Avec ses lunettes, elle peut agir sur son environnement de façon autonome.

De la même manière, nous dépendons aujourd'hui de nombreux outils pour mener la vie qui est la nôtre, en autonomie. La voiture, les produits industriels, l'organisation des flux urbains…, nous dépendons de tout cela, et grâce à tout cela nous agissons sur le monde de façon autonome.

L'autonomie de chacun dépend des outils dont il dispose pour répondre à ses besoins, ces outils pouvant aussi bien être des connaissances, des savoir-faire, des aptitudes naturelles ou des outils matériels comme les lunettes ou la voiture.

Tous les élèves ont besoin d'outils mentaux pour pouvoir être autonomes dans la réalisation de tâches scolaires. La plupart des élèves neurotypiques acquièrent ces outils sans y penser, naturellement, simplement par l'expérience vécue dans certaines situations, notamment les situations pédagogiques mises en place par les enseignants.

Quand un enfant n'a pas les ressources nécessaires pour faire face aux défis scolaires dans les mêmes conditions que ses camarades neurotypiques parce qu'il ne dispose pas naturellement des moyens cognitifs qui devraient lui permettre de créer seul ses outils mentaux, alors concevoir pour lui du matériel spécifique susceptible de l'aider à développer des outils mentaux efficaces et l'accompagner dans la prise en main de ce matériel ne fera pas obstacle à son autonomie, au contraire.

Car si l'enfant est alors dépendant du matériel et du travail de la personne qui le crée pour lui, grâce à eux, il peut acquérir de nouveaux outils mentaux et devenir autonome dans la réalisation des tâches scolaires correspondantes.

En conséquence, le travail d'adaptation et de création de matériel spécifique est indispensable à l'autonomie de l'enfant avec autisme dans le milieu scolaire tel qu'il existe aujourd'hui.

Ce travail peut également bénéficier à de nombreux autres profils d'élèves en difficulté dans les apprentissages. C'est ce que j'ai constaté en travaillant avec des enfants avec TDAH ou troubles dys. Car si l'autisme peut altérer la mécanique des schémas mentaux de façon structurelle, d'autres troubles peuvent indirectement générer des difficultés similaires. Dans les troubles de l'attention, si le processus d'élaboration des schémas est sans cesse interrompu parce que l'attention ne peut pas être suffisamment maintenue sur la tâche, ou dans la dyslexie, si la charge mentale est détournée vers la lecture des écrits qui reste laborieuse, les processus qui auraient dû permettre aux schémas d'être élaborés peuvent ne pas pouvoir aboutir.

D'une façon plus générale, hors contexte de trouble cognitif, quand un élève a des préoccupations personnelles importantes, ou que, trop souvent en échec, il développe un sentiment d'impuissance apprise, si son engagement cognitif dans les activités est entravé, utiliser ponctuellement ces mêmes stratégies peut également avoir un intérêt. Dans le cas du sentiment d'impuissance apprise, en remettant l'élève en réussite, on peut relancer l'engagement cognitif et l'élaboration naturelle des schémas peut alors reprendre.

Ainsi, dans de nombreux cas de difficulté scolaire, fournir les schémas mentaux aux élèves dans du matériel de différenciation pédagogique peut être une option intéressante. Selon les cas, on pourra utiliser cette stratégie ponctuellement ou de façon quasi systématique, en première intention ou en remédiation.

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Remerciements

Merci à toutes les personnes qui m'ont fait confiance.

Merci aux enfants qui m'ont acceptée à leurs côtés avec beaucoup de bienveillance malgré mes insuffisances. Merci pour leurs précieux enseignements.

Merci à leurs parents pour leur aide et leur soutien.

Merci aux enseignants qui ont accepté de me laisser un espace de liberté.

Merci à mon mari et mes enfants pour leur infinie patience.

Merci à Francis Ray, qui, pour la cause des enfants, a généreusement accepté de mettre bénévolement son talent de graphiste au service du projet. Cet ouvrage lui doit de nombreux schémas et illustrations, ainsi que sa mise en forme professionnelle.

 

© 2024 - Agnès Deschamps
ISBN 978-2-3225-2077-0
Dépôt légal : Juin 2024

 

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Publié dans Fondements théoriques

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